N° 5 : Réflexions de Jean-Durosier Desrivières
Note : Article principal N° 2 du supplément mensuel Relire Haïti qui a été publié avec le soutien de France-Antilles de la Martinique ; paru pour la première fois en février 2004 sous le titre : « Qui parle d’abus de mémoire en Haïti ? » le texte a été revu, modifié, augmenté et actualisé.
L’histoire d’Haïti est truffée d’ambiguïtés : le devoir de mémoire serait à la fois pris dans les filets du silence, de l’excès et de la manipulation.
« Même quand mon ombre est penchée
je garde la tête droite
Debout partisans ! » (Georges Castera)[[1]]url:#_ftn1
Interroger, en Haïti comme ailleurs, la mémoire et les différentes attitudes à afficher vis-à-vis d’elle, c’est aussi poser la question de la connaissance ou de l’ignorance de l’Histoire, de son enseignement et des enjeux idéologiques qui en résultent. Depuis 1847 et 1848, dates de la parution des trois tomes de l’Histoire d’Haïti de Thomas Madiou, comblant une évidente lacune dans le domaine, instruire l’haïtien de son passé est devenu une préoccupation décisive. En effet, plus d’un croit que l’apprentissage de l’histoire est nécessaire dans la construction de l’identité d’un peuple. Sauf qu’ici, l’on perd souvent les véritables sens des faits historiques qui pataugent fréquemment dans des discours forgés ailleurs ou non maîtrisés par les Haïtiens eux-mêmes. Car « l’Occident a courte mémoire, nous apprend Michel-Rolph Trouillot. Et comme il écrit l’histoire, la sienne et celle des autres, l’histoire des peuples est courte. […] Et nous, pauvres colonisés, tissons les fils de notre passé avec des mots piégés d’oubli. »[[2]]url:#_ftn2 Et la question essentielle demeure toujours : quelle histoire enseigne-t-on ?
Du devoir à l’abus de mémoire
Comment parler d’histoire d’Haïti sans évoquer son agencement et les conditions de son élaboration. Rares sont ceux qui ont pensé à consigner les faits tout de suite après 1804, voire les analyser. Certes, le contexte n’a pas donné lieu à ce réflexe, d’autant plus que des experts en la matière n’existaient pas encore sur place. – Les colonisateurs ne tarderont pas à combler le manque. – Néanmoins, un sentiment de devoir de mémoire, quoique ourdi, se manifeste chez les précurseurs de la littérature haïtienne.
La crainte d’un éventuel retour des français, qui étaient loin de renoncer à leur riche colonie, gagnait les cœurs : il fallait maintenir le pays dans l’euphorie de l’indépendance, la méfiance ou la haine de l’étranger blanc. Ainsi, la plume remplacera le fusil. Les premières revues du pays, L’Abeille haytienne, journal politique et littéraire (1817), et L’Observateur (1819), ne donnaient à lire qu’ode, hymne et cantate à la liberté, des récits et des poèmes dithyrambiques d’Antoine Dupré, Juste Chanlate et Jules Solime Milscent, louant les hauts faits d’armes et les fondateurs de la jeune patrie pendant les trois premières décennies de l’indépendance. Cette grande proximité par rapport aux faits de l’histoire immédiate a créé la cécité. Et le devoir de mémoire des pionniers, comme on les appelle usuellement, engagés et passionnés, aboutit à un certain abus de mémoire.
Entre le passé et le présent
L’écriture historique – marquée d’exaltation et de parti pris – s’est construite timidement avec les Mémoires pour servir à l’Histoire d’Haïti de Boisrond-Tonnerre[[3]]url:#_ftn3 , secrétaire de Dessalines, et des notes du Baron de Vastey, secrétaire de Christophe. Elle s’enrichira des écrits de Beaubrun Ardouin (1796-1865) et de Thomas Madiou (1814-1884), considéré comme le père des historiens haïtiens. Ce dernier, en misant sur la dimension romantique de l’histoire, cherche à comprendre et à interpréter l’aspect psychologique, politique, raciste et moral du système esclavagiste, selon l’historien Pierre Buteau[[4]]url:#_ftn4 (Voir mon article « Le « Nous » haïtien / Le « Nous » martiniquais ? »). Celui-ci affirme, en outre, qu’à partir de 1874, des penseurs et hommes politiques piqués de sociologie et de sciences juridiques écrivent l’histoire d’Haïti en mettant l’accent sur l’identité nationale.
En conséquence, l’on relève dans les écrits de ces derniers – Anténor Firmin, Dantès Bellegarde, Jean-Price Mars, etc. – un encensement prononcé du passé impliquant son effacement, au point que le passé devient le présent d’Haïti. Or, l’on admettra avec l’historien l’idée selon laquelle « on ne peut pas passer sa vie à s’identifier essentiellement par sa naissance ». Du passéiste embaumé de nationalisme, l’on tombera dans un présentisme accablant qui s’édifiera dans le messianisme. Le docteur François Duvalier, corrigeant le passé, en opérant une réduction outrancière des luttes politiques qu’il renvoie systématiquement à la question de couleur[[5]]url:#_ftn5 , se présente comme le messie, le « rédempteur noir » et prescrit le présent comme seule préoccupation. Jean-Claude Duvalier (Baby Doc) alimentera ce régime par la doctrine « développementiste », en misant bêtement sur la ville au détriment de la paysannerie, l’un des nœuds du problème haïtien.
Eviter la répétition
Après le « dechoukaj » de Baby Doc en 1986, de l'agitation immédiate de tous bords émerge Les racines historiques de l’Etat duvaliérien de Michel-Rolph Trouillot. La distance de l’auteur par rapport au pays – plongé, au moment de l’élaboration de ses réflexions, dans de fortes controverses sociopolitiques et toutes formes d’excitations, la distance, dis-je, paraît être l’une des justes explications relatives à la pertinence des analyses de ce livre. Car c’est un anthropologue haïtien qui parle du dehors d’Haïti, depuis l’Université de Chicago, son lieu de migrance : « l’Etat Duvaliérien peut se reproduire avec ou sans un Duvalier dans la mesure où la crise des structures à laquelle le duvaliérisme s’imposa, comme une réponse équivoque et criminelle, n’est pas elle-même résolue ». La théorie de l’Etat-Père en Haïti, que l’on n’a pas su éviter, et qui conduit au régime de Jean-Bertrand Aristide, un président illuminé qui s’identifie, sans gêne aucune, à Toussaint Louverture ou Jean-Jacques Dessalines, voire au Père Eternel, témoigne de la clairvoyance de l’anthropologue. Ainsi, la mémoire du passé, manipulée par tout démagogue, acolyte de l’occident, et mal ou non appropriée par les « élites » et par le peuple en vue de mieux s’éclairer, crée un immense désarroi face au présent.
Cette propension à la tyrannie, manifestée au sein de l’Etat haïtien depuis sa fondation – et peut-être au-delà, paraît s’intégrer à la structure psychique de divers « citoyens », au point que l’on arrive à décrypter une réverbération de l’autoritarisme étatique dans de nombreuses familles, de différentes couches sociales, et à travers de grandes institutions. L’Université d’Etat d’Haïti, ce haut lieu de savoir et de réflexion qui devait aider l’individu à s’affranchir et à s’épanouir intellectuellement, par exemple, demeure un vaste champ chaotique où chaque faculté fonctionne selon un mode de gestion qui s’accommode de pratiques purement féodales : les doyens élus deviennent au fil des ans, subtilement et astucieusement, inamovibles, soutenus le plus souvent par de jeunes disciples aux cerveaux désorientés, voire dégénérés – soumis. L’école – telle qu’elle évolue avec ses instituteurs et ses « maîtres » en déficit de formation et de jugement approprié sur l’histoire et la mémoire, leurs pratiques vraies et leurs incidences certaines – et surtout ladite université – d’où sont issus nombre de ces « formateurs » adeptes du prêt-à-penser, constituent donc insidieusement les premiers instituts d’apprentissage du césarisme en Haïti… Dès lors, il paraît moins étrange que même dans le champ de la création littéraire et artistique haïtien également, s’affichent quelques oligarchies dont certaines – aussi éclairées ou bornées soient-elles – font parfois semblant de jouer la carte de l’alternance au verso d’un jeu d’arbitraire maîtrisé.
En Haïti, toute tentative de pensée lucide sur les activités et les pratiques de la mémoire collective semble conduire au trouble, à la confusion, aujourd’hui plus que jamais, malgré l’expression d’une certaine bonne foi de quelques rares intellectuels, interventionnistes opportunistes et sporadiques pour la plupart. Les vieux dictateurs paradent ! Les populistes s’égosillent ! D’éminentes voix se taisent ! Il serait temps d'obvier au plus vite ce constat du poète, consigné en 1998 dans Droits de l’homme. Utopie, Défi, Réalités. : « Liberté et justice dans l’outrance des rendez-vous manqués, les hommes lessivés par des passions fragiles et de peureuses démocraties de pierres à briquet, une tête de chat qui donne dans le Mystique » (Georges Castera fils)[[6]]url:#_ftn6 . Il n’est point défendu à un peuple de s’abreuver de ses mythes et de ses légendes : c’est sans doute sa force en temps de crise aiguë. Il n’est point interdit à un peuple de se réconcilier avec lui-même. Mais quand il se confine démesurément dans des pratiques caduques et factices, quand on le pousse malgré lui à fermer les yeux sur des modes d’injustice qui surpassent l’entendement, quand il se gave de mythes apparemment trop épuisés, des « légendes miaulantes », il risque d’être frappé à l’infini de complexe de panthéon, condamné à se fixer, à se figer, dans des bêtises du passé – « toujours recommencer » – et à se faire berner au quotidien, par sa propre histoire, aussi glorieuse soit-elle.
[[1]]url:#_ftnref1 Georges Castera fils, « La station debout », Voix de tête, Port-au-Prince, éd. Mémoire, 1996.
Note : Article principal N° 2 du supplément mensuel Relire Haïti qui a été publié avec le soutien de France-Antilles de la Martinique ; paru pour la première fois en février 2004 sous le titre : « Qui parle d’abus de mémoire en Haïti ? » le texte a été revu, modifié, augmenté et actualisé.
L’histoire d’Haïti est truffée d’ambiguïtés : le devoir de mémoire serait à la fois pris dans les filets du silence, de l’excès et de la manipulation.
« Même quand mon ombre est penchée
je garde la tête droite
Il ne faut jamais laisser aux morts
l’initiative de la lumièreDebout partisans ! » (Georges Castera)[[1]]url:#_ftn1
Interroger, en Haïti comme ailleurs, la mémoire et les différentes attitudes à afficher vis-à-vis d’elle, c’est aussi poser la question de la connaissance ou de l’ignorance de l’Histoire, de son enseignement et des enjeux idéologiques qui en résultent. Depuis 1847 et 1848, dates de la parution des trois tomes de l’Histoire d’Haïti de Thomas Madiou, comblant une évidente lacune dans le domaine, instruire l’haïtien de son passé est devenu une préoccupation décisive. En effet, plus d’un croit que l’apprentissage de l’histoire est nécessaire dans la construction de l’identité d’un peuple. Sauf qu’ici, l’on perd souvent les véritables sens des faits historiques qui pataugent fréquemment dans des discours forgés ailleurs ou non maîtrisés par les Haïtiens eux-mêmes. Car « l’Occident a courte mémoire, nous apprend Michel-Rolph Trouillot. Et comme il écrit l’histoire, la sienne et celle des autres, l’histoire des peuples est courte. […] Et nous, pauvres colonisés, tissons les fils de notre passé avec des mots piégés d’oubli. »[[2]]url:#_ftn2 Et la question essentielle demeure toujours : quelle histoire enseigne-t-on ?
Du devoir à l’abus de mémoire
Comment parler d’histoire d’Haïti sans évoquer son agencement et les conditions de son élaboration. Rares sont ceux qui ont pensé à consigner les faits tout de suite après 1804, voire les analyser. Certes, le contexte n’a pas donné lieu à ce réflexe, d’autant plus que des experts en la matière n’existaient pas encore sur place. – Les colonisateurs ne tarderont pas à combler le manque. – Néanmoins, un sentiment de devoir de mémoire, quoique ourdi, se manifeste chez les précurseurs de la littérature haïtienne.
La crainte d’un éventuel retour des français, qui étaient loin de renoncer à leur riche colonie, gagnait les cœurs : il fallait maintenir le pays dans l’euphorie de l’indépendance, la méfiance ou la haine de l’étranger blanc. Ainsi, la plume remplacera le fusil. Les premières revues du pays, L’Abeille haytienne, journal politique et littéraire (1817), et L’Observateur (1819), ne donnaient à lire qu’ode, hymne et cantate à la liberté, des récits et des poèmes dithyrambiques d’Antoine Dupré, Juste Chanlate et Jules Solime Milscent, louant les hauts faits d’armes et les fondateurs de la jeune patrie pendant les trois premières décennies de l’indépendance. Cette grande proximité par rapport aux faits de l’histoire immédiate a créé la cécité. Et le devoir de mémoire des pionniers, comme on les appelle usuellement, engagés et passionnés, aboutit à un certain abus de mémoire.
Entre le passé et le présent
L’écriture historique – marquée d’exaltation et de parti pris – s’est construite timidement avec les Mémoires pour servir à l’Histoire d’Haïti de Boisrond-Tonnerre[[3]]url:#_ftn3 , secrétaire de Dessalines, et des notes du Baron de Vastey, secrétaire de Christophe. Elle s’enrichira des écrits de Beaubrun Ardouin (1796-1865) et de Thomas Madiou (1814-1884), considéré comme le père des historiens haïtiens. Ce dernier, en misant sur la dimension romantique de l’histoire, cherche à comprendre et à interpréter l’aspect psychologique, politique, raciste et moral du système esclavagiste, selon l’historien Pierre Buteau[[4]]url:#_ftn4 (Voir mon article « Le « Nous » haïtien / Le « Nous » martiniquais ? »). Celui-ci affirme, en outre, qu’à partir de 1874, des penseurs et hommes politiques piqués de sociologie et de sciences juridiques écrivent l’histoire d’Haïti en mettant l’accent sur l’identité nationale.
En conséquence, l’on relève dans les écrits de ces derniers – Anténor Firmin, Dantès Bellegarde, Jean-Price Mars, etc. – un encensement prononcé du passé impliquant son effacement, au point que le passé devient le présent d’Haïti. Or, l’on admettra avec l’historien l’idée selon laquelle « on ne peut pas passer sa vie à s’identifier essentiellement par sa naissance ». Du passéiste embaumé de nationalisme, l’on tombera dans un présentisme accablant qui s’édifiera dans le messianisme. Le docteur François Duvalier, corrigeant le passé, en opérant une réduction outrancière des luttes politiques qu’il renvoie systématiquement à la question de couleur[[5]]url:#_ftn5 , se présente comme le messie, le « rédempteur noir » et prescrit le présent comme seule préoccupation. Jean-Claude Duvalier (Baby Doc) alimentera ce régime par la doctrine « développementiste », en misant bêtement sur la ville au détriment de la paysannerie, l’un des nœuds du problème haïtien.
Eviter la répétition
Après le « dechoukaj » de Baby Doc en 1986, de l'agitation immédiate de tous bords émerge Les racines historiques de l’Etat duvaliérien de Michel-Rolph Trouillot. La distance de l’auteur par rapport au pays – plongé, au moment de l’élaboration de ses réflexions, dans de fortes controverses sociopolitiques et toutes formes d’excitations, la distance, dis-je, paraît être l’une des justes explications relatives à la pertinence des analyses de ce livre. Car c’est un anthropologue haïtien qui parle du dehors d’Haïti, depuis l’Université de Chicago, son lieu de migrance : « l’Etat Duvaliérien peut se reproduire avec ou sans un Duvalier dans la mesure où la crise des structures à laquelle le duvaliérisme s’imposa, comme une réponse équivoque et criminelle, n’est pas elle-même résolue ». La théorie de l’Etat-Père en Haïti, que l’on n’a pas su éviter, et qui conduit au régime de Jean-Bertrand Aristide, un président illuminé qui s’identifie, sans gêne aucune, à Toussaint Louverture ou Jean-Jacques Dessalines, voire au Père Eternel, témoigne de la clairvoyance de l’anthropologue. Ainsi, la mémoire du passé, manipulée par tout démagogue, acolyte de l’occident, et mal ou non appropriée par les « élites » et par le peuple en vue de mieux s’éclairer, crée un immense désarroi face au présent.
Cette propension à la tyrannie, manifestée au sein de l’Etat haïtien depuis sa fondation – et peut-être au-delà, paraît s’intégrer à la structure psychique de divers « citoyens », au point que l’on arrive à décrypter une réverbération de l’autoritarisme étatique dans de nombreuses familles, de différentes couches sociales, et à travers de grandes institutions. L’Université d’Etat d’Haïti, ce haut lieu de savoir et de réflexion qui devait aider l’individu à s’affranchir et à s’épanouir intellectuellement, par exemple, demeure un vaste champ chaotique où chaque faculté fonctionne selon un mode de gestion qui s’accommode de pratiques purement féodales : les doyens élus deviennent au fil des ans, subtilement et astucieusement, inamovibles, soutenus le plus souvent par de jeunes disciples aux cerveaux désorientés, voire dégénérés – soumis. L’école – telle qu’elle évolue avec ses instituteurs et ses « maîtres » en déficit de formation et de jugement approprié sur l’histoire et la mémoire, leurs pratiques vraies et leurs incidences certaines – et surtout ladite université – d’où sont issus nombre de ces « formateurs » adeptes du prêt-à-penser, constituent donc insidieusement les premiers instituts d’apprentissage du césarisme en Haïti… Dès lors, il paraît moins étrange que même dans le champ de la création littéraire et artistique haïtien également, s’affichent quelques oligarchies dont certaines – aussi éclairées ou bornées soient-elles – font parfois semblant de jouer la carte de l’alternance au verso d’un jeu d’arbitraire maîtrisé.
En Haïti, toute tentative de pensée lucide sur les activités et les pratiques de la mémoire collective semble conduire au trouble, à la confusion, aujourd’hui plus que jamais, malgré l’expression d’une certaine bonne foi de quelques rares intellectuels, interventionnistes opportunistes et sporadiques pour la plupart. Les vieux dictateurs paradent ! Les populistes s’égosillent ! D’éminentes voix se taisent ! Il serait temps d'obvier au plus vite ce constat du poète, consigné en 1998 dans Droits de l’homme. Utopie, Défi, Réalités. : « Liberté et justice dans l’outrance des rendez-vous manqués, les hommes lessivés par des passions fragiles et de peureuses démocraties de pierres à briquet, une tête de chat qui donne dans le Mystique » (Georges Castera fils)[[6]]url:#_ftn6 . Il n’est point défendu à un peuple de s’abreuver de ses mythes et de ses légendes : c’est sans doute sa force en temps de crise aiguë. Il n’est point interdit à un peuple de se réconcilier avec lui-même. Mais quand il se confine démesurément dans des pratiques caduques et factices, quand on le pousse malgré lui à fermer les yeux sur des modes d’injustice qui surpassent l’entendement, quand il se gave de mythes apparemment trop épuisés, des « légendes miaulantes », il risque d’être frappé à l’infini de complexe de panthéon, condamné à se fixer, à se figer, dans des bêtises du passé – « toujours recommencer » – et à se faire berner au quotidien, par sa propre histoire, aussi glorieuse soit-elle.
[[1]]url:#_ftnref1 Georges Castera fils, « La station debout », Voix de tête, Port-au-Prince, éd. Mémoire, 1996.
[[2]]url:#_ftnref2 Michel-Rolph Trouillot, Les racines historiques de l’Etat duvaliérien, Port-au-Prince, éd. Deschamps, 1986.
[[3]]url:#_ftnref3 Boisrond Tonnerre, Mémoires pour servir à l’Histoire d’Haïti, Port-au-Prince, Les éditions Fardin, 1981.
[[4]]url:#_ftnref4 Pierre Buteau, « Une mémoire en colère ». C’est le titre de la communication livrée par l’historien, à l’Atrium de Fort-de-France, le 2 mai 2001, dans le cadre d’un colloque intitulé : « Histoire et mémoire des sociétés post-esclavagistes… ou … La révolte contre l’oubli », organisé par le Comité Devoir de Mémoire Martinique, sous l’égide de Médecins du Monde.
[[5]]url:#_ftnref5 François Duvalier et Lorimer Denis, Le problème des Classes à travers l’Histoire d’Haïti, coll. « Les Griots », 1948.
[[6]]url:#_ftnref6 Georges Castera fils, « Pour constat », in Droits de l’homme. Utopie, Défi, Réalités. Les créateurs haïtiens 1948-1998. Conception-coordination Bernard Hadjadj, représentant de l’UNESCO en Haïti, 1998.