Vers le Parc Historique de la Canne à Sucre, le public se presse en ordre discipliné pour prendre part à la première représentation de la pièce Melovivi de Frankétienne. Sous le ciel, mi-pois mi-maïs, on croise les doigts. Pourvu que les nuages qui planent sur nos têtes passent le cap de la nuit sans fondre sur nous. Après avoir été empêchée par le séisme du 12 janvier, la première le serait-elle également par la pluie ? Pour une pièce où il est question d’éléments déchaînés et de vies dévastées, il n’est pas banal que la terre et le ciel se liguent pour accompagner l’expression d’une voix qui semble avoir été faite pour formuler la parole des morts et le langage des dieux. Cependant, une telle occurrence aurait l’inconvénient de frustrer des milliers de spectateurs qui ont fait un effort particulier pour être dignes et beaux dans la douleur. Et cela ponctuerait de façon sensible l’œuvre initiée par le bas, le travail de sape dont témoignent les répliques ressenties jour après jour depuis le 12 janvier.
Sur la scène, Frankétienne et Garnel Innocent campent au milieu d’un bric-à-brac de cordes et de ficelles, de coffres et de tiroirs qui n’ont pas attendu le tremblement de terre pour être appareillés dans un maelström informe de fibres, de fer et de ciment. Sans autre sujet que la force de vivre, ils devisent en amis sur le rien, et se font un dimanche en lançant des imprécations contre les assassins patentés qui détruisent notre planète.
Le public, attentif, savoure son plaisir en silence composé. C’est la première fois, depuis la catastrophe, qu’une pièce est jouée sur une scène. Il a fallu, pour l’occasion, réparer d’urgence les locaux. Sur les billets d’entrée, il y a encore la date de la représentation prévue initialement pour le 29 janvier dernier.