© Leah Gordon
C'est vers le milieu des années 70 que se développe en Haïti, un certain engouement pour les "drapeaux vaudou". Parmi les premiers acquéreurs, grâce à l'intuition du feu conservateur, Pierre Monosiet, nous retrouvons le Musée d'Art Haïtien du Collège St-Pierre.
Une décennie plus tard, la boutique du même Musée, propose à ses visiteurs une vaste gamme de ces objets rutilants, d'une saisissante efficacité décorative.
En 1984, Gérald Alexis (à ce moment, encore responsable de la section des Arts Dramatiques de l'École Nationale des Arts) présente au MUPANAH, la première exposition/reconstitution, sur le vaudou. Les principaux "Lwa" du panthéon haïtien font l'objet, chacun, d'une minutieuse scénographie. Les bannières pailletées aux armes des "Ogou", des "Bawon", des "Metrès", etc, font office de signalétique.
Parallèlement à ce nouvel intérêt de nature ethnographique, il se développe aux U.S.A. un véritable marché. Les galéristes et autres intermédiaires s'organisent pour y répondre. Les manufactures se développent, de véritables entreprises surgissent à tous les échelons de la société Port-au-Princienne. Une certaine abondance de la matière première: perles et paillettes, associée à la croissance des industries de l'assemblage, n'est pas par ailleurs, étrangère à cette effervescence.
Mais, Edgard Jean-Louis, initié du vaudou et "ougan" (grand-prêtre), en se rappelant de son enfance partagée entre l'apprentissage de la cordonnerie, de la maçonnerie et du solfège à "Centrale" (où étaient placés les jeunes déshérités) et aux péristyles du Bel-Air (sa marraine Antonia Champagne est la compagne du "ougan" Démaratre) n'a pas souvenir de pareils oriflammes.
En ce temps là, les bannières n'étaient encore que de simples carrés de tissus cramponnés à une hampe de bois. Quoique parfois, des reproductions de saints catholiques y figuraient cousues en applique.
Le rôle des drapeaux dans les rituels du vaudou se confirme par l'importance hiérarchique des personnalités qui y sont associées: "laplas" et "porte-drapeaux". Argument non négligeable, "Sobo", "Lwa" de la foudre (dixit Edgard) en assume la tutelle.
La néo-orléanaise Tina Girouard, auteure du premier ouvrage uniquement consacré à cette forme d'art, "Sequins Artists of Haiti", (1994), a mené des investigations entre 1990 et 1994. Elle se heurte à l'anonymat des artistes. Les oeuvres, valorisées à travers musées et collections depuis près de deux décennies restaient non attribuées, les artistes oubliés (ou méprisés). Son livre est un hommage aux travailleurs ignorés.
L'étude en question propose une classification triangulaire.
La tradition établie,"métamorphose d'un élément du temple à celui d’"objet d’"art" peut être retracée au Bel-Air"* incarnée par "Céus Saint-Louis, grand prêtre, médecin, artiste, architecte et musicien connu sous le sobriquet de Tibout"*.
La tradition évolutive, puise ses sources également au "Bel-Air dont l'importance historique, à cause des similitudes et/ou des différences, inclue Sylva Joseph, Edgard Jean-Louis, Clothaire Bazil et Yves Télémaque. L'intégration de chromolithographies dans les oeuvres ornées de paillettes, commence dans ce quartier"*. L'historien d'art Michel Philippe Lerebours a beaucoup insisté sur l'impact des chromolithographies (ici, reproduction en couleurs d'effigie de saints catholiques) dans la genèse de la peinture haïtienne, d'une part, leur action dans le processus du "syncrétisme", d'autre part.
Il s'établit tout un système d’"équivalences entre "lwa" de "Ginen" et saints du culte romain. Les étendards rituels procèdent de la même logique, iconographique et sémantique.
En dernier lieu, l'ouvrage de Madame Girouard présente "La tradition en expansion" espoirs portés par les nouvelles générations qu'a incarné le jeune Antoine Oleyant, mort à 38 ans en 1992.
En ce qui nous concerne, la tradition du Bel-Air, à laquelle appartient Edgard Jean-Louis, se caractérise par des bannières finement travaillées, à la composition élégante et sobre. Une chromolithographie est appliquée au centre de l’œuvre. Celle-ci est recouverte de matière plastique. Tous les détails de l'image sont repris en aplat grâce aux paillettes fixées une à une à l'aiguille et maintenues par une perle de verre de la même couleur. Seuls le visage et les mains sont épargnés. Autre particularité, les lignes de contours sont rehaussées de fausses perles. En général, une frise de motifs géométriques encadre l'image centrale.
Les drapeaux créés par Edgard correspondent à son idéal de cohésion, d'optimisme, à sa vision de "franc Ginen" (puriste, orthodoxe, dans son langage). Mais aussi, à sa nostalgie d'élégance vieux-jeux. Sa vie, comme son œuvre, s'obstine face à l'irréversible délabrement, au chaos imminent ...
Sous le manteau de lumière d'Erzulie la mère universelle, Freda la généreuse, il nous offre en spectacle, quelques-uns de ses joyaux.
NOTE
Traduit de Tina Girouard, "Sequin Artists of Haiti", 1994
Bibliographie d'Edgard Jean-Louis
- Cosentino J. Donald, Sacred Art of Haitian Vodou, 1995
- Gordon Leah, The Book of Vodoo, 2000
- Girouard Tina, Sequin Artists of Haiti, 1994
- Glassman Sallie Ann, An encounter with divine mystery, 2000
Barbara Prézeau Stephenson AICA SC
Directrice du Centre Culturel AfricAméricA
Port-au-Prince, le 1er mars 2002